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La Dame de Monsoreau - ebook

Data wydania:
23 września 2017
Format ebooka:
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La Dame de Monsoreau - ebook

La «Dame de Monsoreau» est la suite à «La Reine Margot». C’est la fin du XVI siècle. Nous avons la possibilité de déguster la vie des rois et reines des siècles précédents, la vie ces gentilshommes célébrés par leur bravoure. L’histoire d’amour, bien qu’agréable à suivre, est sans grande originalité, mais elle est soutenue par une intrigue historique particulièrement réussie et passionnante. En meme temps nous côtoyons le règne du roi Henri III, sa vie, sa cour, ses faiblesses.

Kategoria: Powieść
Język: Inny
Zabezpieczenie: Watermark
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ISBN: 978-83-8115-975-3
Rozmiar pliku: 2,9 MB

FRAGMENT KSIĄŻKI

Table des matières

CHAPITRE Ier. Les noces de Saint-Luc

CHAPITRE II. Comment ce n’est pas toujours celui qui ouvre la porte qui entre dans la maison

CHAPITRE III. Comment il est difficile parfois de distinguer le rêve de la réalité

CHAPITRE IV. Comment mademoiselle de Brissac, autrement dit madame de Saint-Luc, avait passé sa nuit de noces

CHAPITRE V. Comment mademoiselle de Brissac, autrement dit madame de Saint-Luc, s’arrangea pour passer la seconde nuit de ses noces autrement qu’elle n’avait passé la première

CHAPITRE VI. Comment se faisait le petit coucher du roi Henri III

CHAPITRE VII. Comment, sans que personne sût la cause de cette conversion, le roi Henri se trouva converti du jour au lendemain

CHAPITRE VIII. Comment le roi eut peur d’avoir eu peur, et comment Chicot eut peur d’avoir peur

CHAPITRE IX. Comment la voix du Seigneur se trompa et parla à Chicot, croyant parler au roi

CHAPITRE X. Comment Bussy se mit à la recherche de son rêve, de plus en plus convaincu que c’était une réalité

CHAPITRE XI. Quel homme c’était que M. le grand veneur Bryan de Monsoreau

CHAPITRE XII. Comment Bussy retrouva à la fois le portrait et l’original

CHAPITRE XIII. Ce que c’était que Diane de Méridor

CHAPITRE XIV. Ce que c’était que Diane de Méridor. — Le Traité

CHAPITRE XV. Ce que c’était que Diane de Méridor. — Le Mariage

CHAPITRE XVI. Ce que c’était que Diane de Méridor. — Le Mariage

CHAPITRE XVII. Comment voyageait le roi Henri III, et quel temps il lui fallait pour aller de Paris à Fontainebleau

CHAPITRE XVIII. Où le lecteur aura le plaisir de faire connaissance avec frère Gorenflot, dont il a déjà été parlé deux fois dans le cours de cette histoire

CHAPITRE XIX. Comment Chicot s’aperçut qu’il était plus facile d’entrer dans l’abbaye Sainte-Geneviève que d’en sortir

CHAPITRE XX. Comment Chicot, forcé de rester dans l’église de l’abbaye, vit et entendit des choses qu’il était fort dangereux de voir et d’entendre

CHAPITRE XXI. Comment Chicot, croyant faire un cours d’histoire, fit un cours de généalogie

CHAPITRE XXII. Comment M. et madame de Saint-Luc voyageaient côte à côte et furent rejoints par un compagnon de voyage

CHAPITRE XXIII. Le vieillard orphelin

CHAPITRE XXIV. Comment Remy-le-Haudouin s’était, en l’absence de Bussy, ménagé des intelligences dans la maison de la rue Saint-Antoine

CHAPITRE XXV. Le père et la fille

CHAPITRE XXVI. Comment frère Gorenflot se réveilla, et de l’accueil qui lui fut fait à son couvent

CHAPITRE XXVII. Comment frère Gorenflot demeura convaincu qu’il était somnambule, et déplora amèrement cette infirmité

CHAPITRE XXVIII. Comment frère Gorenflot voyagea sur un âne nommé Panurge, et apprit dans son voyage beaucoup de choses qu’il ne savait pas

CHAPITRE XXIX. Comment frère Gorenflot troqua son âne contre une mule, et sa mule contre un cheval

CHAPITRE XXX. Comment Chicot et son compagnon s’installèrent à l’hôtellerie du Cygne de la Croix, et comment ils y furent reçus par l’hôte

CHAPITRE XXXI. Comment le moine confessa l’avocat, et comment l’avocat confessa le moine

CHAPITRE XXXII. Comment Chicot, après avoir fait un trou avec une vrille, en fit un avec son épée

CHAPITRE XXXIII. Comment le duc d’Anjou apprit que Diane de Méridor n’était point morte

CHAPITRE XXXIV. Comment Chicot revint au Louvre et fut reçu par le roi Henri III

CHAPITRE XXXV. Ce qui s’était passé entre monseigneur le duc d’Anjou et le grand veneur

CHAPITRE XXXVI

CHAPITRE XXXVII. Ce que venait faire M. de Guise au Louvre

CHAPITRE XXXVIII. Castor et Pollux

CHAPITRE XXXIX. Comment il est prouvé qu’écouter est le meilleur moyen pour entendre

CHAPITRE XL. La Soirée de la Ligue

CHAPITRE XLI. La rue de la Ferronnerie

CHAPITRE XLII. Le Prince et l’Ami

CHAPITRE XLIII. Étymologie de la rue de la Jussienne

CHAPITRE XLIV. Comment d’Épernon eut son pourpoint déchiré, et comment Schomberg fut teint en bleu

CHAPITRE XLV. Chicot est de plus en plus roi de France

CHAPITRE XLVI. Comment Chicot fit une visite à Bussy et de ce qui s’ensuivit

CHAPITRE XLVII. Les Échecs de Chicot, le Bilboquet de Quélus et la Sarbacane de Schomberg

CHAPITRE XLVIII. Comment le roi nomma un chef à la Ligue, et comment ce ne fut ni Son Altesse le duc d’Anjou ni monseigneur le duc de Guise

CHAPITRE XLIX. Comment le roi nomma un chef qui n’était ni Son Altesse le duc d’Anjou ni monseigneur le duc de Guise

CHAPITRE L. Étéocle et Polynice

CHAPITRE LI. Comment on ne perd pas toujours son temps en fouillant dans les armoires vides

CHAPITRE LII. Ventre Saint-Gris

CHAPITRE LIII. Les Amies

CHAPITRE LIV. Les Amants

CHAPITRE LV. Comment Bussy trouva trois cents pistoles de son cheval et le donna pour rien

CHAPITRE LVI. Diplomatie de M. le duc d’Anjou

CHAPITRE LVII. Diplomatie de M. de Saint-Luc

CHAPITRE LVIII. Une volée d’Angevins

CHAPITRE LIX. Roland

CHAPITRE LX. Ce que venait annoncer M. le comte de Monsoreau

CHAPITRE LXI. Comment le roi Henri III apprit la fuite de son frère bien-aimé le duc d’Anjou et de ce qui s’ensuivit

CHAPITRE LXII. Comment Chicot et la Reine-Mère se trouvant être du même avis, le roi se rangea à l’avis de Chicot et de la Reine-Mère

CHAPITRE LXIII. Où il est prouvé que la reconnaissance était une des vertus de M. de Saint-Luc

CHAPITRE LXIV. Le projet de M. de Saint-Luc

CHAPITRE LXV. Comment M. de Saint-Luc montra à M. de Monsoreau le coup que le roi lui avait montré

CHAPITRE LXVI. Où l’on voit la Reine-Mère entrer peu triomphalement dans la bonne ville d’Angers

CHAPITRE LXVII. Les petites causes et les grands effets

CHAPITRE LXVIII. Comment M. de Monsoreau ouvrit, ferma et rouvrit les yeux, ce qui était une preuve qu’il n’était pas tout à fait mort

CHAPITRE LXVIX. Comment le duc d’Anjou alla à Méridor pour faire à madame de Monsoreau des compliments sur la mort de son mari, et comment il trouva M. de Monsoreau qui venait au-devant de lui

CHAPITRE LXX. Du désagrément des litières trop larges et des portes trop étroites

CHAPITRE LXXI. Dans quelles dispositions était le roi Henri III quand M. de Saint-Luc reparut à la cour

CHAPITRE LXXII. Où il est traité de deux personnages importants de cette histoire, que le lecteur avait depuis quelque temps perdus de vue

CHAPITRE LXXIII

CHAPITRE LXXIV. Comment l’ambassadeur de M. le duc d’Anjou arriva à Paris, et de la réception qui lui fut faite

CHAPITRE LXXV. Lequel n’est autre chose que la suite du précédent écourté par l’auteur pour cause de fin d’année

CHAPITRE LXXVI. Comment M. de Saint-Luc s’acquitta de la commission qui lui avait été donnée par Bussy

CHAPITRE LXXVII. En quoi M. de Saint-Luc était plus civilisé que M. de Bussy, des leçons qu’il lui donna, et de l’usage qu’en fit l’amant de la belle Diane

CHAPITRE LXXVIII. Les précautions de M. de Monsoreau

CHAPITRE LXXIX. Une visite à la maison des Tournelles

CHAPITRE LXXX. Les Guetteurs

CHAPITRE LXXXI. Comment M. le duc d’Anjou signa, et comment, après avoir signé, il parla

CHAPITRE LXXXII. Une promenade aux Tournelles

CHAPITRE LXXXIII. Où Chicot s’endort

CHAPITRE LXXXIV. Où Chicot s’éveille

CHAPITRE LXXXV. La Fête-Dieu

CHAPITRE LXXXVI. Lequel ajoutera encore à la clarté du chapitre précédent

CHAPITRE LXXXVII. La Procession

CHAPITRE LXXXVIII. Chicot Ier

CHAPITRE LXXXIX. Les Intérêts et le Capital

CHAPITRE XC. Ce qui se passait du côté de la Bastille, tandis que Chicot payait ses dettes à l’abbaye Sainte-Geneviève

CHAPITRE XCI. L’Assassinat

CHAPITRE XCII. Comment frère Gorenflot se trouva plus que jamais entre la potence et l’abbaye

CHAPITRE XCIII. Où Chicot devine pourquoi d’Épernon avait du sang aux pieds et n’en avait pas aux joues

CHAPITRE XCIV. Le matin du combat

CHAPITRE XCV. Les amis de Bussy

CHAPITRE XCVI. Le combat

CHAPITRE XCVII. ConclusionCHAPITRE PREMIER

LES NOCES DE SAINT-LUC

Le dimanche gras de l’année 1578, après la fête du populaire, et tandis que s’éteignaient dans les rues les rumeurs de la joyeuse journée, commençait une fête splendide dans le magnifique hôtel que venait de se faire bâtir, de l’autre côté de l’eau et presque en face du Louvre, cette illustre famille de Montmorency qui, alliée à la royauté de France, marchait l’égale des familles princières. Cette fête particulière, qui succédait à la fête publique, avait pour but de célébrer les noces de François d’Épinay de Saint-Luc, grand ami du roi Henri III et l’un de ses favoris les plus intimes, avec Jeanne de Cossé-Brissac, fille du maréchal de France de ce nom.

Le repas avait eu lieu au Louvre, et le roi, qui avait consenti à grand’peine au mariage, avait paru au festin avec un visage sévère qui n’avait rien d’approprié à la circonstance. Son costume, en outre, paraissait en harmonie avec son visage : c’était ce costume marron foncé sous lequel Clouet nous l’a montré assistant aux noces de Joyeuse, et cette espèce de spectre royal, sérieux jusqu’à la majesté, avait glacé d’effroi tout le monde, et surtout la jeune mariée, qu’il regardait fort de travers toutes les fois qu’il la regardait.

Cependant cette attitude sombre du roi, au milieu de la joie de cette fête, ne semblait étrange à personne ; car la cause en était un de ces secrets de cœur que tout le monde côtoie avec précaution, comme ces écueils à fleur d’eau auxquels on est sûr de se briser en les touchant.

À peine le repas terminé, le roi s’était levé brusquement, et force avait été aussitôt à tout le monde, même à ceux qui avouaient tout bas leur désir de rester à table, de suivre l’exemple du roi. Alors Saint-Luc avait jeté un long regard sur sa femme, comme pour puiser du courage dans ses yeux, et s’approchant du roi :

— Sire, lui dit-il, Votre Majesté me fera-t-elle l’honneur d’accepter les violons que je veux lui donner à l’hôtel de Montmorency, ce soir ?

Henri III s’était alors retourné avec un mélange de colère et de chagrin, et, comme Saint-Luc, courbé devant lui, l’implorait avec une voix des plus douces et une mine des plus engageantes :

— Oui, monsieur, avait-il répondu, nous irons, quoique vous ne méritiez certainement pas cette preuve d’amitié de notre part.

Alors mademoiselle de Brissac, devenue madame de Saint-Luc, avait remercié humblement le roi. Mais Henri avait tourné le dos sans répondre à ses remerciements.

— Qu’a donc le roi contre vous, monsieur de Saint-Luc ? avait alors demandé la jeune femme à son mari.

— Belle amie, répondit Saint-Luc, je vous raconterai cela plus tard, quand cette grande colère sera dissipée.

— Et se dissipera-t-elle ? demanda Jeanne.

— Il le faudra bien, répondit le jeune homme.

Mademoiselle de Brissac n’était point encore assez madame de Saint-Luc pour insister ; elle renfonça sa curiosité au fond de son cœur, se promettant de trouver, pour dicter ses conditions, un moment où Saint-Luc serait bien obligé de les accepter.

On attendait donc Henri III à l’hôtel de Montmorency au moment où s’ouvre l’histoire que nous allons raconter à nos lecteurs. Or il était onze heures déjà, et le roi n’était pas encore arrivé.

Saint-Luc avait convié à ce bal tout ce que le roi et tout ce que lui-même comptait d’amis ; il avait compris dans les invitations les princes et les favoris des princes, particulièrement ceux de notre ancienne connaissance, le duc d’Alençon, devenu duc d’Anjou à l’avènement de Henri III au trône ; mais M. le duc d’Anjou, qui ne s’était pas trouvé au festin du Louvre, semblait ne pas devoir se trouver davantage à la fête de l’hôtel Montmorency.

Quant au roi et à la reine de Navarre, ils s’étaient, comme nous l’avons dit dans un ouvrage précédent, sauvés dans le Béarn, et faisaient de l’opposition ouverte en guerroyant à la tête des huguenots.

M. le duc d’Anjou, selon son habitude, faisait aussi de l’opposition, mais de l’opposition sourde et ténébreuse, dans laquelle il avait toujours soin de se tenir en arrière, tout en poussant en avant ceux de ses amis que n’avait point guéris l’exemple de la Mole et de Coconnas, dont nos lecteurs, sans doute, n’ont point encore oublié la terrible mort.

Il va sans dire que ses gentilshommes et ceux du roi vivaient dans une mauvaise intelligence qui amenait au moins deux ou trois fois par mois des rencontres, dans lesquelles il était bien rare que quelqu’un des combattants ne demeurât point mort sur la place, ou tout au moins grièvement blessé.

Quant à Catherine, elle était arrivée au comble de ses vœux. Son fils bien-aimé était parvenu à ce trône qu’elle ambitionnait tant pour lui, ou plutôt pour elle ; et elle régnait sous son nom, tout en ayant l’air de se détacher des choses de ce monde et de n’avoir plus souci que de son salut.

Saint-Luc, tout inquiet de ne voir arriver aucune personne royale, cherchait à rassurer son beau-père, fort ému de cette menaçante absence. Convaincu, comme tout le monde, de l’amitié que le roi Henri portait à Saint-Luc, il avait cru s’allier à une faveur, et voilà que sa fille, au contraire, épousait quelque chose comme une disgrâce. Saint-Luc se donnait mille peines pour lui inspirer une sécurité que lui-même n’avait pas, et ses amis Maugiron, Schomberg et Quélus, vêtus de leurs plus magnifiques costumes, tout roides dans leurs pourpoints splendides, et dont les fraises énormes semblaient des plats supportant leur tête, ajoutaient encore à ses transes par leurs ironiques lamentations.

— Eh ! mon Dieu ! mon pauvre ami, disait Jacques de Levis, comte de Quélus, je crois, en vérité, que pour cette fois tu es perdu. Le roi t’en veut de ce que tu t’es moqué de ses avis, et M. d’Anjou t’en veut de ce que tu t’es moqué de son nez.

— Mais non, répondit Saint-Luc, tu te trompes, Quélus, le roi ne vient pas parce qu’il a été faire un pèlerinage aux Minimes du bois de Vincennes, et le duc d’Anjou est absent parce qu’il est amoureux de quelque femme que j’aurai oublié d’inviter.

— Allons donc, dit Maugiron, as-tu vu la mine que faisait le roi à dîner ? Est-ce là la physionomie paterne d’un homme qui va prendre le bourdon pour faire un pèlerinage ? Et quant au duc d’Anjou, son absence personnelle motivée par la cause que tu dis, empêcherait-elle ses Angevins de venir ? En vois-tu un seul ici ? Regarde, éclipse totale, pas même ce tranche-montagne de Bussy.

— Heu ! messieurs, disait le duc de Brissac en secouant la tête d’une façon désespérée, ceci me fait tout l’effet d’une disgrâce complète. En quoi donc, mon Dieu ! notre maison, toujours si dévouée à la monarchie, a-t-elle pu déplaire à Sa Majesté ?

Et le vieux courtisan levait avec douleur ses deux bras au ciel.

Les jeunes gens regardaient Saint-Luc avec de grands éclats de rire, qui, bien loin de rassurer le maréchal, le désespéraient.

La jeune mariée, pensive et recueillie, se demandait, comme son père, en quoi Saint-Luc avait pu déplaire au roi.

Saint-Luc le savait, lui, et, par suite de cette science, était le moins tranquille de tous.

Tout à coup, à l’une des deux portes par lesquelles on entrait dans la salle, on annonça le roi.

— Ah ! s’écria le maréchal radieux, maintenant je ne crains plus rien, et, si j’entendais annoncer le duc d’Anjou, ma satisfaction serait complète.

— Et moi, murmura Saint-Luc, j’ai encore plus peur du roi présent que du roi absent, car il ne vient que pour me jouer quelque mauvais tour ; comme c’est aussi pour me jouer quelque mauvais tour que le duc d’Anjou ne vient pas.

Mais, malgré cette triste réflexion, il ne s’en précipita pas moins au-devant du roi, qui avait enfin quitté son sombre costume marron, et qui s’avançait tout resplendissant de satin, de plumes et de pierreries.

Mais, au moment où apparaissait à l’une des portes le roi Henri III, un autre roi Henri III, exactement pareil au premier, vêtu, chaussé, coiffé, fraisé et godronné de même, apparaissait par la porte en face. De sorte que les courtisans, un instant emportés vers le premier, s’arrêtèrent comme le flot à la pile de l’arche, et refluèrent en tourbillonnant du premier au second roi.

Henri III remarqua le mouvement, et, ne voyant devant lui que des bouches ouvertes, des yeux effarés et des corps pirouettant sur une jambe :

— Çà, messieurs, qu’y a-t-il donc ? demanda-t-il.

Un long éclat de rire lui répondit.

Le roi, peu patient de son naturel, et en ce moment surtout peu disposé à la patience, commençait de froncer le sourcil, quand Saint-Luc s’approchant de lui :

— Sire, dit-il, c’est Chicot, votre bouffon, qui s’est habillé exactement comme Votre Majesté, et qui donne sa main à baiser aux dames.

Henri III se mit à rire. Chicot jouissait à la cour du dernier Valois d’une liberté pareille à celle dont jouissait trente ans auparavant Triboulet à la cour du roi François I^(er), et dont devait jouir quarante ans plus tard Langely à la cour du roi Louis XIII.

C’est que Chicot n’était pas un fou ordinaire. Avant de s’appeler Chicot, il s’était appelé de Chicot. C’était un gentilhomme gascon qui, maltraité, à ce qu’on assurait, par M. de Mayenne à la suite d’une rivalité amoureuse dans laquelle, tout simple gentilhomme qu’il était, il l’avait emporté sur ce prince, s’était réfugié près de Henri III, et qui payait en vérités quelquefois cruelles la protection que lui avait donnée le successeur de Charles IX.

— Eh ! maître Chicot, dit Henri, deux rois ici, c’est beaucoup.

— En ce cas, continue à me laisser jouer mon rôle de roi à ma guise et joue le rôle du duc d’Anjou à la tienne ; peut-être qu’on te prendra pour lui, et qu’on te dira des choses qui t’apprendront, non pas ce qu’il pense, mais ce qu’il fait.

— En effet, dit le roi en regardant avec humeur autour de lui, mon frère d’Anjou n’est pas venu.

— Raison de plus pour que tu le remplaces. C’est dit : je suis Henri et tu es François. Je vais trôner, tu vas danser ; je ferai pour toi toutes les singeries de la couronne, et toi, pendant ce temps, tu t’amuseras un peu, pauvre roi !

Le regard du roi s’arrêta sur Saint-Luc.

— Tu as raison, Chicot, je veux danser, dit-il.

— Décidément, pensa Brissac, je m’étais trompé en croyant le roi irrité contre nous. Tout au contraire, le roi est de charmante humeur.

Et il courut à droite et à gauche, félicitant chacun, et surtout se félicitant lui-même d’avoir donné sa fille à un homme jouissant d’une si grande faveur près de Sa Majesté.

Cependant Saint-Luc s’était rapproché de sa femme. Mademoiselle de Brissac n’était pas une beauté, mais elle avait de charmants yeux noirs, des dents blanches, une peau éblouissante ; tout cela lui composait ce qu’on peut appeler une figure d’esprit.

— Monsieur, dit-elle à son mari, toujours préoccupée qu’elle était par une seule pensée, que me disait-on que le roi m’en voulait ? Depuis qu’il est arrivé, il ne cesse de me sourire.

— Ce n’est pas ce que vous me disiez au retour du dîner, chère Jeanne, car son regard, alors, vous faisait peur.

— Sa Majesté était sans doute mal disposée alors, dit la jeune femme ; maintenant…

— Maintenant, c’est bien pis, interrompit Saint-Luc, le roi rit les lèvres serrées. J’aimerais bien mieux qu’il me montrât les dents ; Jeanne, ma pauvre amie, le roi nous ménage quelque traître surprise… Oh ! ne me regardez pas si tendrement, je vous prie, et même, tournez-moi le dos. Justement voici Maugiron qui vient à nous ; retenez-le, accaparez-le, soyez aimable avec lui.

— Savez-vous, monsieur, dit Jeanne en souriant, que voilà une étrange recommandation, et que si je la suivais à la lettre, on pourrait croire….

— Ah ! dit Saint-Luc avec un soupir, ce serait bien heureux qu’on le crût.

Et tournant le dos à sa femme, dont l’étonnement était au comble, il s’en alla faire sa cour à Chicot, qui jouait son rôle de roi avec un entrain et une majesté des plus risibles.

Cependant Henri, profitant du congé qui était donné à Sa Grandeur, dansait, mais, tout en dansant, ne perdait pas de vue Saint-Luc.

Tantôt il l’appelait pour lui conter quelque remarque plaisante qui, drôle ou non, avait le privilège de faire rire Saint-Luc aux éclats. Tantôt il lui offrait dans son drageoir des pralines et des fruits glacés que Saint-Luc trouvait délicieux. Enfin, si Saint-Luc disparaissait un instant de la salle où était le roi, pour faire les honneurs des autres salles, le roi l’envoyait chercher aussitôt par un de ses parents ou de ses officiers, et Saint-Luc revenait sourire à son maître, qui ne paraissait content que lorsqu’il le revoyait.

Tout à coup, un bruit assez fort pour être remarqué au milieu de ce tumulte, frappa les oreilles de Henri.

— Eh ! eh ! dit-il, il me semble que j’entends la voix de Chicot. Entends-tu, Saint-Luc, le roi se fâche.

— Oui, sire, dit Saint-Luc sans paraître remarquer l’allusion de Sa Majesté, il se querelle avec quelqu’un, ce me semble.

— Voyez ce que c’est, dit le roi, et revenez incontinent me le dire.

Saint-Luc s’éloigna.

En effet, on entendait Chicot qui criait en nasillant, comme faisait le roi en certaines occasions.

— J’ai fait des ordonnances somptuaires, cependant ; mais, si celles que j’ai faites ne suffisent pas, j’en ferai encore, j’en ferai tant, qu’il y en aura assez ; si elles ne sont pas bonnes, elles seront nombreuses au moins. Par la corne de Belzébuth, mon cousin, six pages, monsieur de Bussy, c’est trop !

Et Chicot, enflant les joues, cambrant ses hanches et mettant le poing sur le côté, jouait le roi à s’y méprendre.

— Que parle-t-il donc de Bussy ? demanda le roi en fronçant le sourcil.

Saint-Luc, de retour, allait répondre au roi quand la foule, s’ouvrant, laissa voir six pages vêtus de drap d’or, couverts de colliers et portant sur la poitrine les armoiries de leur maître, toutes chatoyantes de pierreries. Derrière eux venait un homme jeune, beau et fier, qui marchait le front haut, l’œil insolent, la lèvre dédaigneusement retroussée, et dont le simple costume de velours noir tranchait avec les riches habits de ses pages.

— Bussy ! disait-on, Bussy d’Amboise !

Et chacun courait au-devant du jeune homme qui causait cette rumeur, et se rangeait pour le laisser passer.

Maugiron, Schomberg et Quélus avaient pris place aux côtés du roi, comme pour le défendre.

— Tiens, dit le premier, faisant allusion à la présence inattendue de Bussy et à l’absence continue du duc d’Alençon, auquel Bussy appartenait ; tiens, voici le valet, et l’on ne voit pas le maître.

— Patience, répondit Quélus, devant le valet il y avait les valets du valet, le maître du valet vient peut-être derrière le maître des premiers valets.

— Vois donc, Saint-Luc, dit Schomberg, le plus jeune des mignons du roi Henri, et avec cela un des plus braves, sais-tu que M. de Bussy ne te fait guère honneur ? Regarde donc ce pourpoint noir : mordieu ! est-ce là un habit de noces ?

— Non, dit Quélus, mais c’est un habit d’enterrement.

— Ah ! murmura Henri, que n’est-ce le sien, et que ne porte-t-il d’avance son propre deuil ?

— Avec tout cela, Saint-Luc, dit Maugiron, M. d’Anjou ne suit pas Bussy. Serais-tu aussi en disgrâce de ce côté-là ?

Le aussi frappa Saint-Luc au cœur.

— Pourquoi donc suivrait-il Bussy ? répliqua Quélus. Ne vous rappelez-vous plus que lorsque Sa Majesté fit l’honneur de demander à M. de Bussy s’il voulait être à elle, M. de Bussy lui fit répondre que, étant de la maison de Clermont, il n’avait besoin d’être à personne et se contenterait purement et simplement d’être à lui-même, certain qu’il se trouverait meilleur prince que qui que ce fût au monde ?

Le roi fronça le sourcil et mordit sa moustache.

— Cependant, quoi que tu dises, reprit Maugiron, il est bien à M. d’Anjou, ce me semble.

— Alors, riposta flegmatiquement Quélus, c’est que M. d’Anjou est plus grand seigneur que notre roi.

Cette observation était la plus poignante que l’on pût faire devant Henri, lequel avait toujours fraternellement détesté le duc d’Anjou.

Aussi, quoiqu’il ne répondît pas le moindre mot, le vit-on pâlir.

— Allons, allons, messieurs, hasarda en tremblant Saint-Luc, un peu de charité pour mes convives ; ne gâtez pas mon jour de noces.

Ces paroles de Saint-Luc ramenèrent probablement Henri à un autre ordre de pensées.

— Oui, dit-il, ne gâtons pas le jour de noces à Saint-Luc, messieurs.

Et il prononça ces paroles en frisant sa moustache avec un air narquois qui n’échappa point au pauvre marié.

— Tiens, s’écria Schomberg, Bussy est donc allié des Brissac, à cette heure ?

— Pourquoi cela ? dit Maugiron.

— Puisque voilà Saint-Luc qui le défend ! Que diable ! dans ce pauvre monde où l’on a assez de se défendre soi-même, on ne défend, ce me semble, que ses parents, ses alliés et ses amis.

— Messieurs, dit Saint-Luc, M. de Bussy n’est ni mon allié, ni mon ami, ni mon parent : il est mon hôte.

Le roi lança un regard furieux à Saint-Luc.

— Et d’ailleurs, se hâta de dire celui-ci, foudroyé par le regard du roi, je ne le défends pas le moins du monde.

Bussy s’était rapproché gravement derrière les pages et allait saluer le roi, quand Chicot, blessé qu’on donnât à d’autres qu’à lui la priorité du respect, s’écria :

— Eh là ! là !… Bussy, Bussy d’Amboise, Louis de Clermont, comte de Bussy, puisqu’il faut absolument te donner tous tes noms pour que tu reconnaisses que c’est à toi que l’on parle, ne vois-tu pas le vrai Henri, ne distingues-tu pas le roi du fou ? Celui à qui tu vas, c’est Chicot, c’est mon fou, mon bouffon, celui qui fait tant de sottises, que parfois j’en pâme de rire.

Bussy continuait son chemin, il se trouvait en face de Henri, devant lequel il allait s’incliner, lorsque Henri lui dit :

— N’entendez-vous pas, monsieur de Bussy ? on vous appelle.

Et, au milieu des éclats de rire de ses mignons, il tourna le dos au jeune capitaine.

Bussy rougit de colère ; mais, réprimant son premier mouvement, il feignit de prendre au sérieux l’observation du roi, et, sans paraître avoir entendu les éclats de Quélus, de Schomberg et de Maugiron, sans paraître avoir vu leur insolent sourire, il se retourna vers Chicot :

— Ah ! pardon, sire, dit-il, il y a des rois qui ressemblent tellement à des bouffons, que vous m’excuserez, je l’espère, d’avoir pris votre bouffon pour un roi.

— Hein ! murmura Henri en se retournant, que dit-il donc ?

— Rien, sire, dit Saint-Luc, qui semblait, pendant toute cette soirée, avoir reçu du ciel la mission de pacificateur, rien, absolument rien.

— N’importe ! maître Bussy, dit Chicot, se dressant sur la pointe du pied comme faisait le roi lorsqu’il voulait se donner de la majesté, c’est impardonnable !

— Sire, répliqua Bussy, pardonnez-moi, j’étais préoccupé.

— De vos pages, monsieur, dit Chicot avec humeur. Vous vous ruinez en pages, et par la mordieu ! c’est empiéter sur nos prérogatives.

— Comment cela ? dit Bussy, qui comprenait qu’en prêtant le collet au bouffon le mauvais rôle serait pour le roi. Je prie Votre Majesté de s’expliquer, et, si j’ai effectivement eu tort, eh bien ! je l’avouerai en toute humilité.

— Du drap d’or à ces maroufles, dit Chicot en montrant du doigt les pages, tandis que vous, un gentilhomme, un colonel, un Clermont, presque un prince, enfin, vous êtes vêtu de simple velours noir !

— Sire, dit Bussy en se tournant vers les mignons du roi, c’est que, quand on vit dans un temps où les maroufles sont vêtus comme les princes, je crois de bon goût aux princes, pour se distinguer d’eux, de se vêtir comme des maroufles.

Et il rendit aux jeunes mignons, étincelants de parure, le sourire impertinent dont ils l’avaient gratifié un instant auparavant.

Henri regarda ses favoris pâlissants de fureur, qui semblaient n’attendre qu’un mot de leur maître pour se jeter sur Bussy. Quélus, le plus animé de tous contre ce gentilhomme, avec lequel il se fût déjà rencontré sans la défense expresse du roi, avait la main à la garde de son épée.

— Est-ce pour moi et les miens que vous dites cela ? s’écria Chicot, qui, ayant usurpé la place du roi, répondit ce que Henri eût dû répondre.

Et le bouffon prit, en disant ces paroles, une pose de matamore si outrée, que la moitié de la salle éclata de rire. L’autre moitié ne rit pas, et c’était tout simple : la moitié qui riait, riait de l’autre moitié.

Cependant trois amis de Bussy, supposant qu’il allait peut-être y avoir rixe, étaient venus se ranger près de lui. C’étaient Charles Balzac d’Entragues, que l’on nommait plus communément Antraguet, François d’Audie, vicomte de Ribeirac, et Livarot.

En voyant ces préliminaires d’hostilités, Saint-Luc devina que Bussy était venu de la part de Monsieur, pour amener quelque scandale ou adresser quelque défi. Il trembla plus fort que jamais, car il se sentait pris entre les colères ardentes de deux puissants ennemis, qui choisissaient sa maison pour champ de bataille.

Il courut à Quélus, qui paraissait le plus animé de tous, et, posant la main sur la garde de l’épée du jeune homme :

— Au nom du ciel ! lui dit-il, ami, modère-toi et attendons.

— Eh ! parbleu ! modère-toi toi-même ! s’écria-t-il. Le coup de poing de ce butor t’atteint aussi bien que moi : qui dit quelque chose contre l’un de nous dit quelque chose contre tous, et qui dit quelque chose contre nous tous touche au roi.

— Quélus, Quélus, dit Saint-Luc, songe au duc d’Anjou, qui est derrière Bussy, d’autant plus aux aguets qu’il est absent, d’autant plus à craindre qu’il est invisible. Tu ne me fais pas l’affront de croire, je le présume, que j’ai peur du valet, mais du maître.

— Eh ! mordieu ! s’écria Quélus, qu’a-t-on à craindre quand on appartient au roi de France ? Si nous nous mettons en péril pour lui, le roi de France nous défendra.

— Toi, oui ; mais moi ! dit piteusement Saint-Luc.

— Ah dam ! dit Quélus, pourquoi diable aussi te maries-tu, sachant combien le roi est jaloux dans ses amitiés ?

— Bon ! dit Saint-Luc en lui-même, chacun songe à soi ; ne nous oublions donc pas, et, puisque je veux vivre tranquille au moins pendant les quinze premiers jours de mon mariage, tâchons de nous faire un ami de M. d’Anjou.

Et, sur cette réflexion, il quitta Quélus et s’avança au-devant de Bussy.

Après son impertinente apostrophe, Bussy avait relevé la tête et promené ses regards par toute la salle, dressant l’oreille pour recueillir quelque impertinence en échange de celle qu’il avait lancée. Mais tous les fronts s’étaient détournés, toutes les bouches étaient demeurées muettes. Les uns avaient peur d’approuver devant le roi, les autres d’improuver devant Bussy.

Ce dernier, voyant Saint-Luc s’approcher, crut enfin avoir trouvé ce qu’il cherchait.

— Monsieur, dit Bussy, est-ce à ce que je viens de dire que je dois l’honneur de l’entretien que vous paraissez désirer ?

— À ce que vous venez de dire ? demanda Saint-Luc de son air le plus gracieux. Que venez-vous donc de dire ? Je n’ai rien entendu, moi. Non, je vous avais vu, et je désirais avoir le plaisir de vous saluer et de vous remercier, en vous saluant, de l’honneur que fait votre présence à ma maison.

Bussy était un homme supérieur en toutes choses ; brave jusqu’à la folie, mais lettré, spirituel et de bonne compagnie. Il connaissait le courage de Saint-Luc, et comprit que le devoir du maître de maison l’emportait en ce moment sur la susceptibilité du raffiné. À tout autre il eût répété sa phrase, c’est-à-dire sa provocation ; mais il se contenta de saluer poliment Saint-Luc, et de répondre quelques mots gracieux à son compliment.

— Oh ! oh ! dit Henri voyant Saint-Luc près de Bussy, je crois que mon jeune coq a été chanter pouilles au capitan. Il a bien fait, mais je ne veux pas qu’on me le tue. Allez donc voir, Quélus… Non, pas vous, Quélus, vous avez trop mauvaise tête. Allez donc voir, Maugiron.

Maugiron partit comme un trait ; mais Saint-Luc, aux aguets, ne le laissa point arriver jusqu’à Bussy ; et, revenant vers le roi, il lui ramena Maugiron.

— Que lui as-tu dit, à ce fat de Bussy ? demanda le roi.

— Moi, sire ?

— Oui, toi.

— Je lui ai dit bonsoir, fit Saint-Luc.

— Ah ! ah ! voilà tout ? maugréa le roi.

Saint-Luc s’aperçut qu’il avait fait une sottise.

— Je lui ai dit bonsoir, reprit-il, en ajoutant que j’aurais l’honneur de lui dire bonjour demain matin.

— Bon ! fit Henri ; je m’en doutais, mauvaise tête !

— Mais veuille Votre gracieuse Majesté me garder le secret, ajouta Saint-Luc en affectant de parler bas.

— Oh ! pardieu ! fit Henri III, ce n’est pas pour te gêner, ce que j’en dis. Il est certain que si tu pouvais m’en défaire sans qu’il en résultât pour toi quelque égratignure….

Les mignons échangèrent entre eux un rapide regard, que Henri III fit semblant de ne pas avoir remarqué.

— Car enfin, continua le roi, le drôle est d’une insolence….

— Oui, oui, dit Saint-Luc. Cependant, un jour ou l’autre, soyez tranquille, sire, il trouvera son maître.

— Heu ! fit le roi, secouant la tête de bas en haut, il tire rudement l’épée ! Que ne se fait-il mordre par quelque chien enragé ! cela nous en débarrasserait bien plus commodément.

Et il jeta un regard de travers sur Bussy, qui, accompagné de ses trois amis, allait et venait, heurtant et raillant tous ceux qu’il savait être les plus hostiles au duc d’Anjou, et qui, par conséquent, étaient les plus grands amis du roi.

— Corbleu ! s’écria Chicot, ne rudoyez donc pas ainsi mes mignons gentilshommes, maître Bussy ! car je tire l’épée, tout roi que je suis, ni plus ni moins que si j’étais un bouffon.

— Ah ! le drôle ! murmura Henri ; sur ma parole, il voit juste.

— S’il continue de pareilles plaisanteries, je châtierai Chicot, sire, dit Maugiron.

— Ne t’y frotte pas, Maugiron ; Chicot est gentilhomme et fort chatouilleux sur le point d’honneur. D’ailleurs, ce n’est point lui qui mérite le plus d’être châtié, car ce n’est pas lui le plus insolent.

Cette fois il n’y avait plus à s’y méprendre : Quélus fit signe à d’O et à d’Épernon, qui, occupés ailleurs, n’avaient point pris part à tout ce qui venait de se passer.

— Messieurs, dit Quélus en les menant à l’écart, venez au conseil ; toi, Saint-Luc, cause avec le roi et achève ta paix qui me paraît heureusement commencée.

Saint-Luc préféra ce dernier rôle, et s’approcha du roi et de Chicot, qui étaient aux prises.

Pendant ce temps, Quélus emmenait ses quatre amis dans l’embrasure d’une fenêtre.

— Eh bien ! demanda d’Épernon, voyons, que veux-tu dire ? J’étais en train de faire la cour à la femme de Joyeuse, et je te préviens que si ton récit n’est pas des plus intéressants, je ne te pardonne pas.

— Je veux vous dire, messieurs, répondit Quélus, qu’après le bal je pars immédiatement pour la chasse.

— Bon, dit d’O, pour quelle chasse ?

— Pour la chasse au sanglier.

— Quelle lubie te passe par la tête d’aller, du froid qui court, te faire éventrer dans quelque taillis ?

— N’importe ! j’y vais.

— Seul ?

— Non pas, avec Maugiron et Schomberg. Nous chassons pour le roi.

— Ah ! oui, je comprends, dirent ensemble Schomberg et Maugiron.

— Le roi veut qu’on lui serve demain une hure de sanglier à son déjeuner.

— Avec un collet renversé à l’italienne, dit Maugiron, faisant allusion au simple col rabattu qu’en opposition avec les fraises des mignons, portait Bussy.

— Ah ! ah ! dit d’Épernon, bon ! j’en suis alors.

— De quoi donc s’agit-il ? demanda d’O ; je n’y suis pas du tout, moi.

— Eh ! regarde autour de toi, mon mignon.

— Bon ! je regarde.

— Y a-t-il quelqu’un qui t’ait ri au nez ?

— Bussy, ce me semble.

— Eh bien ! ne te paraît-il pas que c’est là un sanglier dont la hure serait agréable au roi ?

— Tu crois que le roi… dit d’O.

— C’est lui qui la demande, répondis Quélus.

— Eh bien, soit, en chasse ; mais comment chasserons-nous ?

— À l’affût, c’est plus sûr.

Bussy remarqua la conférence, et, ne doutant pas qu’il ne fût question de lui, il s’approcha en ricanant avec ses amis.

— Regarde donc, Antraguet, regarde donc, Ribeirac, dit-il, comme les voilà groupés ; c’est touchant : on dirait Euryale et Nisus, Damon et Pithias, Castor et… Mais où est donc Pollux ?

— Pollux se marie, dit Antraguet, de sorte que voilà Castor dépareillé.

— Que peuvent-ils faire là ? demanda Bussy en les regardant insolemment.

— Gageons, dit Ribeirac, qu’ils complotent quelque nouvel amidon.

— Non, messieurs, dit en souriant Quélus, nous parlons chasse.

— Vraiment, seigneur Cupidon, dit Bussy ; il fait bien froid pour chasser. Cela vous gercera la peau.

— Monsieur, répondit Maugiron avec la même politesse, nous avons des gants très chauds et des pourpoints doublés de fourrures.

— Ah ! cela me rassure, dit Bussy ; est-ce bientôt que vous chassez ?

— Mais, cette nuit, peut-être, dit Schomberg.

— Il n’y a pas de peut-être ; cette nuit sûrement, ajouta Maugiron.

— En ce cas, je vais prévenir le roi, dit Bussy ; que dirait Sa Majesté si demain, à son réveil, elle allait trouver ses amis enrhumés ?

— Ne vous donnez pas la peine de prévenir le roi, monsieur, dit Quélus ; Sa Majesté sait que nous chassons.

— L’alouette ? fit Bussy avec une mine interrogatrice des plus impertinentes.

— Non, monsieur, dit Quélus, nous chassons le sanglier. Il nous faut absolument une hure.

— Et l’animal ?… demanda Antraguet.

— Est détourné, dit Schomberg.

— Mais encore faut-il savoir où il passera, demanda Livarot.

— Nous tâcherons de nous renseigner, dit d’O. Chassez-vous avec nous, monsieur de Bussy ?

— Non, répondit celui-ci, continuant la conversation sur le même mode. Non, en vérité, je suis empêché. Demain il faut que je sois chez M. d’Anjou pour la réception de M. de Monsoreau, à qui Monseigneur, comme vous le savez, a fait accorder la place de grand-veneur.

— Mais cette nuit ? demanda Quélus.

— Ah ! cette nuit, je ne puis encore : j’ai un rendez-vous dans une mystérieuse maison du faubourg Saint-Antoine.

— Ah ! ah ! fit d’Épernon, est-ce que la reine Margot serait incognito à Paris, monsieur de Bussy ? car nous avons appris que vous aviez hérité de La Mole.

— Oui ; mais depuis quelque temps j’ai renoncé à l’héritage, et c’est d’une autre personne qu’il s’agit.

— Et cette personne vous attend rue du faubourg Saint-Antoine ? demanda d’O.

— Justement ; je vous demanderai même un conseil, monsieur de Quélus.

— Dites ; quoique je ne sois point avocat, je me pique de ne pas les donner mauvais, surtout à mes amis.

— On dit les rues de Paris peu sûres ; le faubourg Saint-Antoine est un quartier fort isolé. Quel chemin me conseillez-vous de prendre ?

— Dam ! dit Quélus, comme le batelier du Louvre passera sans doute la nuit à nous attendre, à votre place, monsieur, je prendrais le petit bac du Pré-aux-Clercs, je me ferais descendre à la tour du coin, je suivrais le quai jusqu’au Grand-Châtelet, et par la rue de la Tixeranderie, je gagnerais le faubourg Saint-Antoine. Une fois au bout de la rue Saint-Antoine, si vous passez l’hôtel des Tournelles sans accident, il est probable que vous arriverez sain et sauf à la mystérieuse maison dont vous nous parliez tout à l’heure.

— Merci de l’itinéraire, monsieur de Quélus, dit Bussy. Vous dites le bac au Pré-aux-Clercs, la tour du coin, le quai jusqu’au Grand-Châtelet, la rue de la Tixeranderie et la rue Saint-Antoine. On ne s’en écartera pas d’une ligne, soyez tranquille.

Et, saluant les cinq amis, il se retira en disant tout haut à Balzac d’Entragues :

— Décidément, Antraguet, il n’y a rien à faire avec ces gens-là, allons-nous-en.

Livarot et Ribeirac se mirent à rire, suivant Bussy et d’Entragues, qui s’éloignèrent, mais qui, en s’éloignant, se retournèrent plusieurs fois.

Les mignons demeurèrent calmes ; ils paraissaient décidés à ne rien comprendre.

Comme Bussy allait franchir le dernier salon où se trouvait madame de Saint-Luc, qui ne perdait pas des yeux son mari, Saint-Luc lui fit un signe, montrant de l’œil le favori du duc d’Anjou, qui s’éloignait. Jeanne comprit avec cette perspicacité qui est le privilège des femmes, et, courant au gentilhomme, elle lui barra le passage.

— Oh ! monsieur de Bussy, dit elle, il n’est bruit que d’un sonnet que vous avez fait, à ce qu’on assure.

— Contre le roi, madame ? demanda Bussy.

— Non ; mais en honneur de la reine. Oh ! dites-le-moi.

— Volontiers, madame, dit Bussy ; et offrant son bras à madame de Saint-Luc, il s’éloigna en récitant le sonnet demandé.

Pendant ce temps, Saint-Luc s’en revint tout doucement du côté des mignons, et il entendit Quélus qui disait :

— L’animal ne sera pas difficile à suivre avec de pareilles brisées ; ainsi donc, à l’angle de l’hôtel des Tournelles, près la porte Saint-Antoine, en face l’hôtel Saint-Pol.

— Avec chacun un laquais ? demanda d’Épernon.

— Non pas, Nogaret, non pas, dit Quélus, soyons seuls, sachons seuls notre secret, faisons seuls notre besogne. Je le hais, mais j’aurais honte que le bâton d’un laquais le touchât ; il est trop bon gentilhomme.

— Sortirons-nous tous six ensemble ? demanda Maugiron.

— Tous cinq, et non pas tous six, dit Saint-Luc.

— Ah ! c’est vrai, nous avions oublié que tu avais pris femme. Nous te traitions encore en garçon, dit Schomberg.

— En effet, reprit d’O, c’est bien le moins que le pauvre Saint-Luc reste avec sa femme la première nuit de ses noces.

— Vous n’y êtes pas, messieurs, dit Saint-Luc ; ce n’est pas ma femme qui me retient, quoique, vous en conviendrez, elle en vaille bien la peine ; c’est le roi.

— Comment, le roi ?

— Oui, Sa Majesté veut que je la reconduise au Louvre.

Les jeunes gens le regardèrent avec un sourire que Saint-Luc chercha vainement à interpréter.

— Que veux-tu ? dit Quélus, le roi te porte une si merveilleuse amitié, qu’il ne peut se passer de toi. D’ailleurs, nous n’avons pas besoin de Saint-Luc, dit Schomberg. Laissons-le donc à son roi et à sa dame.

— Heu ! la bête est lourde, fit d’Épernon.

— Bah ! dit Quélus, qu’on me mette en face d’elle ; qu’on me donne un épieu, j’en fais mon affaire.

On entendit la voix de Henri qui appelait Saint-Luc.

— Messieurs, dit-il, vous l’entendez, le roi m’appelle ; bonne chasse, au revoir.

Et il les quitta aussitôt. Mais, au lieu d’aller au roi, il se glissa le long des murailles encore garnies de spectateurs et de danseurs, et gagna la porte que touchait déjà Bussy, retenu par la belle mariée qui faisait de son mieux pour ne pas le laisser sortir.

— Ah ! bonsoir, monsieur de Saint-Luc, dit le jeune homme. Mais comme vous avez l’air effaré ! Est-ce que, par hasard, vous seriez de la grande chasse qui se prépare ? Ce serait une preuve de votre courage, mais ce n’en serait pas une de votre galanterie.

— Monsieur, répondit Saint-Luc, j’avais l’air effaré parce que je vous cherchais.

— Ah ! vraiment ?

— Et que j’avais peur que vous ne fussiez parti. Chère Jeanne, ajouta-t-il, dites à votre père qu’il tâche d’arrêter le roi ; il faut que je dise deux mots en tête-à-tête à M. de Bussy.

Jeanne s’éloigna rapidement ; elle ne comprenait rien à toutes ces nécessités ; mais elle s’y soumettait, parce qu’elle les sentait importantes.

— Que voulez-vous me dire, monsieur de Saint-Luc ? demanda Bussy.

— Je voulais vous dire, monsieur le comte, répondit Saint-Luc, que si vous aviez quelque rendez-vous ce soir, vous feriez bien de le remettre à demain, attendu que les rues de Paris sont mauvaises, et que si ce rendez-vous, par hasard, devait vous conduire du côté de la Bastille, vous ferez bien d’éviter l’hôtel des Tournelles, où il y a un enfoncement dans lequel plusieurs hommes peuvent se cacher. Voilà ce que j’avais à vous dire, monsieur de Bussy. Dieu me garde de penser qu’un homme comme vous puisse avoir peur. Cependant réfléchissez.

En ce moment on entendait la voix de Chicot, qui criait :

— Saint-Luc, mon petit Saint-Luc, voyons, ne te cache pas comme tu fais. Tu vois bien que je t’attends pour rentrer au Louvre.

— Sire, me voici, répondit Saint-Luc en s’élançant dans la direction de la voix de Chicot.

Près du bouffon était Henri III, auquel un page tendait déjà le lourd manteau fourré d’hermine, tandis qu’un autre lui présentait de gros gants montant jusqu’aux coudes, et un troisième le masque de velours doublé de satin.

— Sire, dit Saint-Luc en s’adressant à la fois aux deux Henri, je vais avoir l’honneur de porter le flambeau jusqu’à vos litières.

— Point du tout, dit Henri, Chicot va de son côté, moi du mien. Mes amis sont tous des vauriens qui me laissent retourner seul au Louvre tandis qu’ils courent le carême prenant. J’avais compté sur eux, et les voilà qui me manquent ; or tu comprends que tu ne peux me laisser partir ainsi. Tu es un homme grave et marié, tu dois me ramener à la reine. Viens, mon ami, viens. Holà ! un cheval pour M. Saint-Luc. Non pas ; c’est inutile, ajouta-t-il en se reprenant, ma litière est large ; il y a place pour deux.

Jeanne de Brissac n’avait pas perdu un mot de cet entretien, elle voulut parler, dire un mot à son mari, prévenir son père que le roi enlevait Saint-Luc ; mais Saint-Luc, plaçant un doigt sur sa bouche, l’invita au silence et à la circonspection.

— Peste ! dit-il tout bas, maintenant que je me suis ménagé François d’Anjou, n’allons pas nous brouiller avec Henri de Valois. — Sire, ajouta-t-il tout haut, me voici. Je suis si dévoué à Votre Majesté, que, si elle l’ordonnait, je la suivrais jusqu’au bout du monde.

Il y eut un grand tumulte, puis grandes génuflexions, puis grand silence pour ouïr les adieux du roi à mademoiselle de Brissac et à son père. Ils furent charmants.

Puis les chevaux piaffèrent dans la cour, les flambeaux jetèrent sur les vitraux leurs rouges reflets. Enfin, moitié riant, moitié grelottant, s’enfuirent, dans l’ombre et la brume, tous les courtisans de la royauté et tous les conviés de la noce.

Jeanne, demeurée seule avec ses femmes, entra dans sa chambre et s’agenouilla devant l’image d’une sainte en laquelle elle avait beaucoup de dévotion. Puis elle ordonna qu’on la laissât seule, et qu’une collation fût prête pour le retour de son mari.

M. de Brissac fit plus, il envoya six gardes attendre le jeune marié à la porte du Louvre, afin de lui faire escorte lorsqu’il reviendrait. Mais, au bout de deux heures d’attente, les gardes envoyèrent un de leurs compagnons prévenir le maréchal que toutes les portes étaient closes au Louvre, et qu’avant de fermer la dernière, le capitaine du guichet avait répondu :

— N’attendez point davantage, c’est inutile ; personne ne sortira plus du Louvre cette nuit. Sa Majesté est couchée, et tout le monde dort.

Le maréchal avait été porter cette nouvelle à sa fille, qui avait déclaré qu’elle était trop inquiète pour se coucher, et qu’elle veillerait en attendant son mari.
mniej..

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